La Musique Haitienne

Histoire, panorama, actualité de la musique d'Haïti

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Je vous propose d’écouter en ligne (mp3) mon « illustration musicale », une sélection de quelques chansons d’Haïti.



Simbi Dlo (Trad. Arr. Frisner Augustin et La Troupe Makandal) 1995

Simbi est l’esprit (ou lwa) des sources et des mares, il est généralement servi lors de cérémonies « Petwo ».
Cet hymne traditionnel est ici interprété de façon remarquable par la renommée troupe Makandal et son « maître tambour » Frisner Augustin. Ce morceau transporte l’auditeur et met en lumière le pouvoir du rythme et sa force subtile capable de transcender tout corps réceptif.

Various Haïti Artists Rhythms Of Rapture: Sacred Musics Of Haitian Vodou 1995

Simbi Dlo Anpaka (Trad. Arr. Grandra) 1998

Une autre interprétation de cet hymne à Simbi qui nous permet de donner un certain relief et d’entrevoir l’essence du morceau.

Grandra Mizik Tradisyonél Ayiti 1998

Simbi o (Trad. Voix :Maman Mait’tambour) 1997

« Simbi o péché yo poko konnen mwen / Simbi o kréol poko ‘konné mwen o Konngo… »
« Moi Simbi, les pêcheurs ne savent pas qui je suis / les gens ne savent pas qui je suis…Ô Konngo… »
Maman Mait’tambour est possédé lorsqu’elle chante Simbi o.

Fond-des-Nègres Fond-des-Blancs Musiques Paysannes d’Haïti. Buda Musique 1997

Rara (Premye Nimewo) 1997



Il s’agit d’un Rara exécuté par une société vaudou, composée d’un hougan « secrétaire général » : Amazon Welganst, d’un commandeur : Nélio Thes, de trois tambours, de plusieurs reines, d’un percussionniste chanteur : Vincent Closel et d’une flûte.

Fond-des-Nègres Fond-des-Blancs Musiques Paysannes d’Haïti. Buda Musique 1997

Rara (Artibonite) 1995

Un autre extrait de Rara où l’on peut entendre le groupe de musiciens se déplacer et hypnotiser le public par le son syncopé de leurs vaccines.

Rhythms of Rapture. Sacred musics of haitian vodou 1995

W’ap karesé lo (Donaïs Forestal) 1997

Il s’agit ici d’une contredanse improvisée par Donaïs Forestal le commandeur, accompagné de Jupiter Cupidon et Napoléon Thermidor aux tambourins.

Fond-des-Nègres Fond-des-Blancs Musiques Paysannes d’Haïti. Buda Musique 1996

Haïtian Suite NO.1 Petwo et Yanvalou (Frantz Casseus) 1954

Frantz Casseus a donné son premier concert à Port-au-Prince en 1941, cinq ans plus tard il est parti pour les États-Unis.
Cet enregistrement date de 1954 Frantz Casseus adapte notamment dans cette suite Haïtienne les rythmes folkloriques Petwo puis Yanvalou à la guitare classique.

Frantz Casseus guitare Haïtian Dances Folkways Records 1954

Merci bon dieu (The harvest song) (Frantz Casseus) 1953

Lolita Cuevas chante ici la célèbre chanson folklorique composée par Frantz Casseus qui joue la partie de guitare. Le thème du morceau est basé sur la réunion entre paysans lors du konbit.

En voici les paroles en créole et leur traduction en français :

Meci Bon Dieu,
Gade tout ca la natu’pote pou’ nous.
Meci Bon Dieu,
Gade couman la mizè fini pou’ nous.
La pli tombé,
Maïs poussé,
Toute ti moune qui grand gout prallé mangé.
An nous dansé Konngo,
An nous dansé Petwo,
Papa Bon Dieu dit nan ciel là
Mizè fini pou’ nous.
Etc….

Merci, Dieu,
Regarde tout ce que la nature nous a apporté.
Merci, Dieu,
Regarde comment la misère est finie pour nous
La pluie est tombée,
Le maïs a poussé,
Tous les enfants qui avaient faim vont manger.
Dansons le Konngo,
Dansons le Petwo,
Dieu a dit qu’au ciel
La misère était finie pour nous
Etc…

Lolita Cuevas et Frantz Casseus Haïtian Folk Songs Folkways Records & Services Corp. N. Y. 1953



Papadambalah (Raoul Guillaume /Arr. Toto Bissainthe) 1989

L’artiste haïtienne Toto Bissainthe (accompagnée de Marie-Claude Benoît et Mariann Mathéus) chante magnifiquement l’aspiration à la liberté omniprésente dans le folklore musical haïtien.

Jou poco levé
Naptravay
Soley fi-n kouché
Naptravay
Min tout moun sé moun
Sé minm mét-la ki kreyé-n
Min poukisa nou pa ka gin libèté
Libèté
Roy, Papadanmbalah (bis)
Papadanmbalah, Danmbalah
Ou konnin n’sé piti-ou Papa
Papadanmbalah, Danmbalah
Louvri Jé-ou pou gadé-n (bis)
Danmbalah éy
Mapé mandé ou
Koté ouap kité pitit ou-yo
Danmbalah roy
Fo ou vini ouè
Nan ki mizè pitit ou yé.

Tôt avant le lever du soleil, nous travaillons
Après son coucher
Encore nous travaillons
Tous les hommes sont égaux
C’est le même maître qui nous a créés
Pourquoi ne pouvons-nous connaître la liberté
La liberté… liberté
Oy Papa Damballah… (bis)
Papa Damballah, Damballah
Tu sais que nous sommes tes enfants
Papa Damballah, Damballah
Ouvre tes yeux et regarde-nous… (bis)
Damballah hey, je te demande
De regarder où tu as abandonné tes enfants
Damballah oy, il faut que tu viennes voir
Dans quelle misère sont tes enfants.

Toto Bissainthe chante Haïti avec Marie-Claude Benoît et Mariann Mathèus. Arion Paris 1989

« Twa fey » (Trad./Ti-Coca/Neptune/Etienne/Bonnannée/Chertout) 1997

« Twa fey/ twa rasin/ jeté blyé ranmassé songé/ mwen gen basen lwa/ mwen twa fey tombé ladan’n/ chajé bato z’anj la/ chargé bato Agwé… »

« Trois feuilles, trois racines /Jeter c’est oublier, ramasser c’est songer, j’ai un bassin aux esprits, trois feuilles y sont tombées / Il faut charger le bateau des esprits… »

Ti-Coca, accompagné de ses musiciens, interprète une meringue lente sur un air populaire du répertoire vaudou. L’influence de Cuba est proche dans ce morceau.

Fond-des-Nègres Fond-des-Blancs Musiques Paysannes d’Haïti. Buda Musique 1996

Compas Direct et La République En Action (Ensemble Nemours Jean-Baptiste)

Créateur du Style Kompa au milieu des années 1950, Nemours Jean-Baptiste décrit le genre dans le titre Kompa Direct, une musique jouée pour faire danser.
La République En Action illustre bien la parenté avec la merengue dominicaine.

Musical Tour Of Haïti. Ansonia

Dans La Vie, Haïti Terre De Soleil et Green Light (Shleu Shleu)

Les Shleu Shleu est le groupe phare des « mini-jazz » du début des années 1960, successeur de Nemours Jean-Baptiste et de Weber Sicot.

Dans La Vie témoigne de la modernisation évidente du style, tant au niveau du travail rythmique, (l’utilisation d’une batterie de rock yéyé se révèle être une réussite) que du travail sur la mélodie (l’utilisation habile d’une guitare électrique rock et d’un saxophone alto).

Haïti Terre De Soleil avec sa guitare yéyé et son style de chant qui rappelle Elvis Presley, illustre bien les influences subies par la jeunesse haïtienne de l’époque qui écoute radio Haïti.
Les paroles quant à elles projettent une image idyllique d’Haïti alors en pleine dictature…



Voici les paroles de cette chanson :

Il est une île dans la mer des Antilles
Un coin de terre baigné par les flots bleus
Oh mon pays qu’est-ce que je t’aime
Et je suis fier de vivre sous ton ciel
Et je bénis ce jour qui m’a vu naître
Dans mon « Bohio » au goût de sirop miel
Sous un soleil qui resplendit et qui sourit
Ce beau joyau qui est tant désiré
Haïti terre de soleil je rêve à l’ombre de tes palmiers
Et je chante avec amour le doux refrain de ton histoire.

Enfin Green Light est une réussite musicale, mais s’efforce de ne parler de rien et de rester dans une légèreté douloureuse à entendre pour les Haïtiens en exil.

Original Shleu-Shleu.
Poté colé.
Haïti terre de soleil. 1969

One step forward et One Step Dub (Max Romeo) et (The Upsetters) 1976

J’ai choisi ici de mettre ces deux titres, un classique du son « roots » et sa version « dub » tous les deux produits par Lee Perry afin de combler un terrible vide.
Le vide musical des années 1970 en Haïti ne pourra jamais être comblé par la musique des groupes de Kompa, forcément aliénée par le pouvoir en place.
Alors que la dictature des Duvalier et son effroyable mécanique a éliminé petit à petit tous les opposants au régime (et donc tout musicien libre et soucieux de ses racines), en Jamaïque a lieu une véritable révolution musicale dont les échos n’ont toujours pas fini de se faire sentir dans la musique aux quatre coins du monde.
Impossible de savoir ce qu’auraient pu créer les Haïtiens s’ils avaient pu bénéficier d’un minimum de liberté pour pouvoir s’exprimer musicalement.

Dès l’apparition des premiers studios à Kingston il se crée un petit marché local, les artistes de Reggae sont mixés par des artistes de talent qui savent mettre la technique au service de la création. Les disques sortent sous le format du 45 tours : la face « A » est destinée à la diffusion radiophonique alors que la face « B » est la version « dub » du même morceau. Entendons par le terme « dub » une version instrumentale du titre, qui est donc remixé selon le goût du producteur. Ces sont ces versions qui sont diffusées dans les « dancehall » de Jamaïque ; la personne qui mixe lors de ces soirées peut alors improviser, participer vocalement aux morceaux.

One step forward, un de ces premiers 45 tours légendaires, la version « dub » était alors proche de la version originale (en dehors de l’absence des paroles du chanteur Max Romeo).

Par la suite le « dub » devient un style à part entière qui se caractérise par l’utilisation de nombreux effets appliqués aux bandes son et d’un mixage particulier (réverbération, mise en avant de la basse et de la batterie).
En un sens, il n’est pas illégitime de penser qu’une grande partie des « DJ’s » et des musiciens « électro » actuels puissent êtres considérés comme les héritiers (souvent indignes) de ce sommet dans l’histoire de la musique.

Arkologie Various Artists Produced by Lee Perry 1976-1979 Island

Overseas Telegram (Serge Gainsbourg) 1981

En 1978 Serge Gainsbourg s’ennuie à Paris après avoir été surpris par la brève vague punk un an plus tôt, il n’écoute plus que des disques reggae. Il décide alors de partir pour la Jamaïque et y enregistre l’album Aux armes et cætera, c’est un succès aussi phénoménal qu’inespéré.
En 1981 il réitère l’expérience avec les musiciens de talent que sont Sly Dunbar et Robbie Shakespeare, devenus entre temps des stars internationales et enregistre la chanson Overseas Telegram.

Serge Gainsbourg Mauvaises Nouvelles des Etoiles 1981



Dlo (Bouka, Toro) 1974

« L’herbe de Guinée ne meurt pas / si on la coupe, elle repousse »

Le titre est issu d’un album de musiciens résistants qui expriment avec une force rare l’injustice de la dictature mais aussi celle de l’exploitation impérialiste qu’elle illustre.
La pochette de l’album « Pinga Nou Krié, Dixième anniversaire, L’heure haïtienne 1969-1979» représente une carte d’Haïti déchirée entre les différentes puissances étrangères.
Il convient d’apprécier le courage de ces musiciens, qui osèrent s’opposer à la dictature de Duvalier.

Pinga Nou Krié, Dixième anniversaire L’heure haïtienne 1969-1979

Oh Oh ! (J. Winer Pascal, Beethova Obas) 1994

Beethova chante avec une douceur déconcertante la tragique réalité d’Haïti.

Voici les paroles de cette chanson en créole et leur traduction en français :

Si jodi m’pran bato
Pou’m neye kou oun krapo
Nan mitan vag lamnè
Pou m kabre la mize

Si ti moun pa grandi
Si pa menm ret peyi
Si tout bagay kwochi
Menm si w pa janm sezi

Si tet mòn mwen kale
Si’m aprann pou m bliye
Si’m manje nan trata
Si’m pran ranyon pou dra

Si ti nèg lonje kwi
Devan biwo « Loni »
Si lavi’n san zavni
Si Ayiti mouri

Lavwa:
Se paske’w detripe l
Ou pete blad tete l
Se paske’w esksplawte l
Ou kreve de grenn je l

Ou s’oun papa lante
Ma drapo lisite
Alos de syek an syek
Je vel vinn pi akrek

Si aujourd’hui
Pour tromper la misère
Je quitte ma terre, je prends la mer
Malgré la peur, malgré la mort,

Si les enfants n’ont pas d’enfance
S’il n’y a plus de repères
S’il n’y a même plus de pays
Si tu n’en as rien à faire

Si mes montagnes sont chauves
Si l’érosion monte jusqu’à ma mémoire
Si les poubelles sont mon garde-manger
Si je ne rêve plus de citadelle.

Si l’échine courbée
Nous tendons nos sébiles à la face du monde
Si nous n’avons plus d’avenir
Si Haïti se meurt,

C’est que tu l’as éventrée,
Égorgée, exploitée,
Sacrifiée
Sur l’autel du veau d’or

Toi le « Papa bon cœur »

Le fils de Lucifer
Qui dessines la marelle séculaire
Des métèques de chez nous.

Beethova Obas. Si… Obas productions Déclic Communication 1994

Kè m’ Pa Sote (Beaubrun/Beaubrun/Nicolas/Traditional/Vaksi) 1991

Boukman Eksperyans est le groupe du renouveau après tant d’années de dictature et de mépris pour la musique populaire d’inspiration vaudou.
Kè m’ Pa Sote remporte en 1990 le premier prix du carnaval national.
La production est malheureusement un peu démodée.

Boukman Ekspenyans.Vaudou adjae. Mango records 1991

Ede M Chante (Boukan Ginen) 1995

Boukan Ginen est avec Boukman Eksperyans un représentant du courant «Rasin» formé en 1990, malgré leur succès, leur premier album Jou a Rive ne sort pas avant 1995 ce qui témoigne bien de la difficulté de se faire enregistrer pour un groupe en Haïti. Le groupe comprend des musiciens de Boukman Eksperyans.

Boukan Ginen. Lou a rive. Green Linnet / xenophile. Record XENO 1995

Ewa Ewa (Trad. /Arr. Morse) 1993

Le groupe Ram est créé en 1990 par Richard Morse directeur du célèbre Hôtel Oloffson. Pour définir le style musical du groupe, j’utiliserai une formule présente sur une affiche du groupe « RAM, Vodou rock’n’roots » qui évoque bien ce que l’on peut trouver musicalement. Il s’agit d’un incroyable mélange, une tentative de conciliation de l’inconciliable réussie. L’album Aïbobo sorti en 1993 est un succès et marque son temps, la chanson « Ibo lele » remarquée par Jonathan Demme fait partie de la bande son du film Philadelphia et la chanson « Fèy » devient un symbole pour les partisans de Jean-Bertrand Aristide le président alors en exil.

J’ai Choisi le titre « Ewa Ewa » afin de mettre en valeur continuité et rupture dans l’interprétation d’un thème classique du folklore musical Haïtien que l’on pourra mettre en parallèle avec Sauve du chœur Simidor.

Ram Aïbobo 1993

Sauve, Racine Core (Trad. /Arr.Férère Laguerre, chœur simidor)

« Dans chaque village se rencontre toujours un homme plus ou moins talentueux, qui est le dépositaire des vieilles chansons et le compositeur populaire indispensable dans les konbits. Cet homme est un Simidor. C’est lui qui dans les veillées maintient la tradition des contes chantés, lui qui dans les services religieux sait retrouver les chants traditionnels du Culte Vaudou » peut-on lire au dos de la pochette de l’album.

Le Chœur Simidor fut dirigé par Férère Laguerre dans les années cinquante, impossible de trouver la date exacte, ce disque étant désormais introuvable.
Ils constituèrent leur répertoire à partir de chants sacrés et profanes du folklore haïtien.
L’on reconnaît clairement dans Sauve le chœur de Ewa Ewa du groupe Ram.
Racine Core illustre, selon moi, le fait que ce qu’il nous est donné de percevoir de la musique haïtienne est malheureusement bien en deçà de sa véritable richesse.