Peut-on considérer le Kompa comme un outil du pouvoir ?
Le Kompa a été un moyen d’expression pour des Haïtiens vivant sous le joug dictatorial des Duvalier, il joua sans aucun doute un rôle d’échappatoire, mais d’un autre côté n’est-il pas coupable de non-contestation ?
Il faut comprendre que le régime Duvalier comme tout régime dictatorial ne toléra pas la moindre voix divergente. L’opposition au régime pour un musicien comme pour n’importe quelle autre personne se terminait au mieux par l’exil au pire par la disparition soudaine de la personne. Pour les musiciens de Kompa, il n’était pas trop difficile d’exercer leur métier puisque le dictateur et sa famille étaient de véritables admirateurs du genre, du temps de Nemours Jean-Baptiste, mais aussi par la suite. Son fils Jean-Claude dit « Baby Doc » aura même son propre groupe de Kompa et sa fille Marie-Denise, grande admiratrice, n’hésitera pas à encourager le mouvement.
En fait, il convient de constater que le Kompa constitue pour le pouvoir en place une façade idéale : ses musiciens considèrent unanimement la musique comme se suffisant à elle-même, toute considération politique est donc automatiquement hors sujet. Il s’agit d’une sorte d’autocensure que les musiciens s’imposent probablement pour éviter des représailles, d’autant plus qu’en tant que personnages publics, ils sont très vulnérables.
Leur situation de musiciens leur procure d’autre part une certaine facilité de vie par rapport à la majorité de leurs compatriotes ce qui ne les incite pas naturellement à une quelconque révolte. Ils cultivent une image positive de gaîté qui laisse entendre qu’Haïti est un pays idyllique où il fait bon vivre. Les thèmes abordés sont presque toujours l’amour, la femme et le Kompa.
Enfin ce qui est troublant, en dehors de l’absence de contestation dans ce Kompa des années dictatoriales, c’est que tout laisse aussi à penser que les mouvements musicaux hors Kompa ont soigneusement été éloignés de la vie des Haïtiens. Ce qui donne inéluctablement au kompa une image de mouvement musical élu.
Il est impossible de penser, compte tenu de la richesse du folklore musical haïtien, que seul ce courant méritait de se développer. D’autre part, bien que j’aie pu écouter un grand nombre de ces groupes, jamais je n’y ai que peu entendu de thème folklorique, et peu ou pas de référence au passé musical.