La Musique Haitienne

Histoire, panorama, actualité de la musique d'Haïti

Le témoignage du musicien Beethova Obas

Beethova Obas est un fils du peintre haïtien Charles Obas qui disparut en octobre 1969 après avoir manifesté face au Palais Présidentiel de Port-au-Prince ; il avait alors 4 ans. Son père lui donna ce prénom en hommage à Beethoven, qu’il vénérait, et parce qu’il souhaitait que son fils devienne musicien.
Il dut s’exiler sous le régime de Duvalier.

« Sous François Duvalier, toute réunion était considérée comme un rassemblement communiste. Mon père faisait partie d’un groupe de jeunes peintres en rupture avec le style naïf. Lorsqu’en 1969 il a su que son cousin était l’un des dix-neuf officiers tués par le régime, il est allé protester devant le palais présidentiel. Depuis, on ne l’a plus revu. »

Le premier titre reconnu par le public de Beethova Obas est le fruit d’une collaboration avec la chanteuse Emeline Michel, en 1987 , c’est « Plezi Mizè » qui signifie « Le plaisir de la misère ». Il l’a composé à dix-neuf ans, pour contester un pouvoir qui se sert du carnaval comme d’un gigantesque défouloir pour apaiser toutes les souffrances.

En 1987 il écrit Nwel anmè (Noël amer), juste après les massacres qui ont suivi les élections de décembre 1987 « Très sale histoire / Bien triste à voir / C’est dérisoire/ Babylone revient / Kakis militaires, Gros bleus tonton macoutes/ Babylone met le feu. »

Pendant les élections de 1991 qui mettront le père Aristide au pouvoir, il chante « père Noël dis-moi quel uniforme tu portes », aussitôt reprise dans les rues.

Koda « Coda » dernière chanson de son album Pa Prese sorti en 1996 est malheureusement encore d’une étonnante actualité et illustre mieux qu’un long discours les constantes dérives dictatoriales des dirigeants politiques au XXe siècle. La fortune personnelle de l’ancien « prêtre des bidonvilles » Jean-Bertrand Aristide est estimée à la fin des années 90 à plus de 800 millions de dollars.

Texte original :

Lò’m bay koudeta’m
M’pram pouvwa’m
Nèg fò’w wè sa
Rakèt, lajan tout sa’m vle
Ak fanmi’m m’al jwi lavi’m laba
Kimele’m si Ayiti fini !
Ayiti Cheri…

Mon jeneral
Kraze dada’m

Si’w anvi fè-yon ti vòlè pa rete
Vòle lajan leta pa rete
Fò’w pa pè travay si’w vle manje
Lajan leta pa lajan’w li ye tande ale

S’on pòs seryeu pòs ki byen peye
Domaj zanmi ki fè domaje
Pa met lavi lòt moun an danje
S’on sèvis ou rann la sosyete

Konesans ou pou sèvi peyi’w
Kompetans ou pou util peyi’w
Lè kompetan di yo pa mele
Enkompetan se sèl kok chante tande

Si’w santi ke’w anvi enerve
W’enève pou lapli k’ap tonbe
Se lapli’k pou fè jaden’w pouse
Fò’w pa mòde dwèt k’ap ba’w manje tande ale

Traduction :

Coup d’état !
J’accède au pouvoir
Imagine la suite :
Corruption, fric, tout à ma portée…
Tant pis pour Haïti
Ici ou là-bas, comme un roi je vivrai.

Mon général passe les ordres :
Frappez, assassinez, fusillez, terrorisez,
Que le calme règne !

Escroquerie, pots-de-vin, assez !
Les caisses de l’État ne sont pas privées
Le travail c’est la dignité

Un poste important, bien rémunéré
Aux médiocres n’est pas attribué.
La responsabilité non assumée
Engendre désordre et négligence.

Ton savoir au service de ton pays,
Tes compétences aussi
Quand s’en vont les cerveaux,
L’incompétent fait le beau

À quoi bon s’énerver
Quand tombe la pluie ?
Sinon comment arroser son jardin ?
Protège ceux qui te font du bien.

Toujours dans son album Pa Prese, la chanson « Ala Remò » composée par Beethova à partir d’une adaptation d’un chant de paysans de la région de Jean Rabel, témoigne de ses remords face à l’écueil dans lequel s’enlise Haïti.

Ala Remò « Oh, remords »

Texte original :

De pye nou pran nan’oun grenn soulye
Si n’bouje n’tonbe
N’atè deja, n’pa ka tonbe
Rale pou’n rale
Rale pou’n ale ki kote ?
Rèv I’ap kontinye
Kou n’ya lilè pou’n reveye
Gad kote nou ye

Ref : Ala remò, o ayo, (2fwa)
Ala remò, ala remò, ala remò
Lari’a pa poubèl, pa jete fatra ladan’l
Ala remò, o ayo, (2fwa)
Ala remò, ala remò, ala remò
Peyi’a pa poubèl pa jete fatra ladan’l

Frero fè yon kriz malkadi
Li te près minui
Zenglendo, fal, otominui
Se sel mèt lari
Rele zanmi pou Helodie
Pyès moun pap sòti
Rive bò zòn dezè edmi
Men Frero mouri

Mwatye vi’n pase nan blokus
Nan rete tann bus
Lekòl ak lasante gratis
Tout bagay prive
Peye chè san’w pa jwenn sèvis
Vol òrganize
Vil la gonfle l’prèt pou pete
Desantralize

Traduction :

On se retrouve les pieds liés
Au moindre geste on tombe
On n’pourra pas plus bas tomber
Il faut donc ramper
Ramper d’accord mais où aller ?
On a assez rêvé
Il est temps de se réveiller
et faire le bilan

Remords, remords
On s’est causé tellement de tort

Frappé d’une crise d’épilepsie
un soir vers minuit.
Effrayés par les escadrons des rues
ni amis, ni SAMU,
à son secours ne sont venus.
Hélodie vit partir son frère
deux heures plus tard vers l’au-delà.

La moitié de notre vie à attendre le bus,
Pris dans un blocus
Ni école, ni santé
Rien n’est gratuit
Tout est privé
Lourdes taxes, pauvres services
Vol organisé
Cité surpeuplée, alerte
Décentralisez

Suite …
Ayiti Pa Forè de Manno Charlemagne