Boukman Eksperyans
Le courant « mizik rasin » (musique des racines), avec en tête les groupes Boukman Eksperyans, Ram ou Boukan Ginen, revalorise les rythmes traditionnels vaudou et rara en les mêlant au reggae jamaïcain et à la pop. Sur des paroles engagées en créole, ils appellent la jeunesse à revendiquer son identité.
Boukman Eksperyans fut le principal symbole de ce mouvement et le groupe du renouveau, Ils firent notamment sensation lors du carnaval de 1991, qui coïncide avec un autre renouveau, politique celui-là, puisqu’il a lieu le jour de l’investiture d’Aristide. La signature la même année sur le label de Chris Blackwell, au moment où Haïti s’ouvre difficilement à la démocratie, va permettre à Boukman Eksperyans de devenir une valeur sûre de la « world music ».
Leur attitude change radicalement par rapport aux groupes de Kompa, sur scène le groupe ébauche, pieds nus, quelques pas vaudou et porte fièrement des vêtements traditionnels.
Le nom du groupe, hommage au chef des insurgés de la cérémonie du Bois Caïman, témoigne à lui seul de cette volonté de retour aux sources.
Boukman Eksperyans au début des années quatre-vingt-dix est le groupe le plus populaire d’Haïti, et leur vodou adjae, qui signifie vaudou dansé, se propage comme une vague dans tout le pays, « Se kreyo’l nou ye », « Kè m Pa Sote », « Kalfou Danjere » deviennent des hymnes de la jeunesse haïtienne.
Le vaudou est considéré comme une force affirmative, comme un fondement vital de la culture haïtienne trop souvent bafouée à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
À l’image des musiciens jamaïcains à la recherche de leurs racines par le rastafarisme, les Haïtiens peuvent enfin partir librement à la recherche des leurs par le vaudou.
Leur démarche est très intéressante puisque la musique est à la fois une réelle expression culturelle et une poussée vers une libération politique comme en témoignent les propos de Lòlò, chef de file de ce mouvement :
« De la même façon que les Jamaïcains montent le volume dès qu’ils entendent un reggae à la radio, les Haïtiens montent maintenant le son dès qu’ils entendent le vodou adjae. Ils ont enfin une musique bien à eux… Notre culture est très forte. Elle est la rencontre des Indiens, de l’Afrique et l’Occident. Le vaudou renaît de ses cendres et compte bien jouer sa partition dans l’avenir politique du pays. La révolution a commencé et c’est la musique qui a pris les devants. »
Lors de leur concert à la Villette en 1996, le chanteur principal n’hésite pas à prononcer ce discours éclairé entre deux chansons en parlant de sa musique : « Ce n’est pas une musique qui est encouragée. La CIA n’aime pas cette musique, non ils n’aiment pas…
Les types qui sont derrière le Néolibéralisme, le FMI, la banque mondiale comme des racketteurs. Maintenant les politiciens sont devenus des racketteurs …
Ces sont les instances internationales qui dirigent le monde actuellement. Ouvrez vos yeux avec ce marché-là, nous sommes en train de devenir des zombis. »
Avec des ambitions aussi grandes, il n’est pas étonnant que le mouvement n’ait pas vraiment suivi musicalement, comme l’a évoqué Charles Najman dans notre interview.
Cependant le rôle joué par Boukman Eksperyans a été plus qu’important en Haïti laissant derrière lui un certain vide musical.
Aujourd’hui encore, toujours sceptique face au pouvoir en place, Boukman Eksperyans continue, à travers sa musique, de jouer son rôle de critique de la société haïtienne.