La Musique Haitienne

Histoire, panorama, actualité de la musique d'Haïti

Intro

Tenant à lier mes études d’histoire et la musique, je me doutais cependant qu’envisager une étude d’historien dans un domaine habituellement réservé aux musicologues pouvait se relever une tâche difficile.

Je suis passionné par le rock des années soixante : ma recherche aurait pu porter sur cette période exceptionnelle ; elle aurait pu aussi s’orienter vers la musique indienne, en lien avec le yoga que je pratique. C’est alors que Florence Gauthier, mon directeur de mémoire m’incita à aller voir du côté de la musique haïtienne. Par défi personnel et par curiosité, j’ai rapidement accepté cette proposition. À la réflexion je ne tenais pas spécialement à parler du rock, à construire un sujet d’étude qui risquait fort d’avoir déjà été abordé et qui m’avait conduit vers des chemins déjà balisés, voire sillonnés. A contrario, un travail sur Haïti m’a semblé plus novateur et susceptible de s’inscrire dans la démarche opposée. Il m’offrait une occasion d’élargir ma culture et portait l’esprit de véritables découvertes.

Dans le registre de la musique caraïbe, je connaissais la musique jamaïcaine et j’appréciais particulièrement la musique cubaine, mais je n’avais pourtant jamais entendu de musique haïtienne. Finalement, je ne connaissais rien d’Haïti en dehors de son glorieux passé de premier peuple à intégrer le formidable acquis de la Révolution française de 1789.

La première étape de découverte, assez longue, fut uniquement sensible, une immersion sans jugement préconçu et sans attente particulière. J’ai écumé les médiathèques de la ville de Paris et contacté les personnes susceptibles de me fournir des enregistrements ; je ne parvins pas cependant à en obtenir un nombre satisfaisant. Je découvris un ou deux très bons disques, puis j’entrepris de consulter des ouvrages consacrés à la musique haïtienne.

Un livret issu d’un recueil de chansons paysannes de Charles Najman et Emmanuelle Honorin me permit de commencer mes recherches bibliographiques. Le centre de documentation de la Cité de la musique et la Bibliothèque Nationale de France purent ensuite en partie satisfaire ma recherche. En partie seulement, car très peu d’écrits existent sur le sujet. Les Haïtiens eux-mêmes se les procurent par leurs réseaux de relations, d’amis vivant en Haïti ou plus souvent à New York, Paris ou au Canada compte tenu du faible nombre et de la diffusion restreinte de ces ouvrages.

Bref, j’ignorais à quel point ce pays pouvait être généralement méconnu et encore plus particulièrement quant à sa musique.

Un des disques que j’eus la chance de trouver et ce, probablement grâce à sa popularité passée, fut celui de Toto Bissainthe : « Toto Bissainthe chante Haïti » ; sa vision magnifique, théâtralisée de la liberté me passionna. De plus, ce disque par ses nombreuses références au vaudou (tant dans les rythmes de ses tambours que dans les chants eux-mêmes) me poussa à découvrir ce culte qui m’était jusque-là totalement inconnu. L’ouvrage d’Alfred Métraux me permit de mieux comprendre le sens et l’importance du vaudou.

A ce stade j’en savais un peu plus sur Haïti, mais j’étais également conscient que mon approche du sujet était très limitée. C’est alors que l’on me signala qu’un long-métrage sortait en salles en France, « Royal Bonbon » de Charles Najman. Après avoir vu cet excellent film, et sur la proposition d’un ami journaliste musical, je décidai d’interviewer le réalisateur. C’est ce que je fis en mai 2003, et l’interview qui suit représente en quelque sorte le vrai point de départ de mon travail sur Haïti.

Charles Najman fait partie de ces personnes qui donnent envie de vivre et poursuivre une passion, intensément et naturellement. Ce fut donc une grande chance pour moi de pouvoir m’entretenir avec lui. Je pris le parti de lui poser des questions sur le thème de la musique, espérant cependant qu’il ne se contenterait pas seulement de répondre à mes questions mais aussi qu’il se laisserait aller, emporté par sa passion pour Haïti. C’est ce qu’il fit pendant plus d’une demi-heure.

Je compris après cet entretien et au fil de mes recherches l’importance du passé, de la mémoire pour les Haïtiens. Emmanuelle Honorin me confirma sur un ton légèrement polémique lors d’un entretien téléphonique : « Il n’y a pas de musique à Haïti il n’y a que de l’histoire » tout en m’encourageant en tant qu’étudiant en histoire à travailler dans cette direction.

Mon projet n’est pas en effet de considérer isolément la musique haïtienne, mais de l’étudier en la replaçant toujours dans son contexte historique (il ne s’agira nullement d’un travail de musicologue).
En en clarifiant les conditions historiques d’émergence et d’évolution, j’espère aussi aider à la reconnaissance de cet élément fort du patrimoine haïtien.

Je tenterai donc dans ce travail de dresser un panorama général de la musique haïtienne, en tenant compte des limites que j’ai rencontrées :

• D’abord, celle des moyens dont j’ai disposé, dans le temps (une année) et dans l’espace (je n’ai pas pu aller à Haïti).

• Ensuite, compte tenu des ressources bibliographiques fort restreintes, je me suis résolu à ne me fonder que sur la musique que j’ai eu la chance de pouvoir écouter, afin d’éviter contresens et approximations ou généralisations abusives.

Dans ce cadre, je ne peux prétendre à une totale objectivité, bien que j’aie entrepris la recherche avec un maximum de rigueur, qui n’exclut pas cependant plaisir de la découverte et enthousiasme.
J’en suis arrivé à penser qu’on pouvait concevoir la musique haïtienne comme un arbre dont les racines seraient le vaudou. C’est sur cette idée directrice que j’ai construit le plan d’ensemble de mon étude, qui coïncide aussi avec une approche chronologique.

Mon entretien avec Charles Najman (ouverture sur le sujet) sera d’abord suivi d’une présentation des véritables racines de la musique d’Haïti : le vaudou haïtien que l’on ne peut dissocier de la musique qui lui est propre et que je tenterai donc de dépeindre.

J’évoquerai ensuite les musiques paysannes, comme le mystérieux « rara », puis la musique classique en rendant hommage à son grand musicien Frantz Casseus qui a su nourrir sa musique du folklore de son pays natal.

M’éloignant ensuite de l’intemporalité du vaudou, je m’attarderai sur le Kompa, longtemps seule vitrine musicale d’Haïti, que j’envisagerai notamment dans son rapport ambigü avec la dictature Duvaliériste.

Nous verrons ensuite que si l’hégémonie du genre Kompa a semblé masquer la contestation politique cette dernière a toujours existé, en dehors de l’île par la force des choses.

J’évoquerai enfin le mouvement Rasin, mouvement du retour aux sources du vaudou, représentant l’espoir d’une jeunesse qui pouvait enfin s’exprimer pleinement sur le sol natal et non plus dans la diaspora comme ses aînés.

Notre dernière étape consistera dans l’illustration musicale de ce qui précède et permettra d’écouter une vingtaine de morceaux dont certains sont très rares.

Suite …
L’entretien avec Charles Najman